Le CrossFit® est une secte

par | Oct 24, 2022

Samedi matin, j’ai regretté de ne pas faire de l’Assault Bike. Oui, c’était grave à ce point-là. Non, ce n’était pas un effet secondaire induit par une nuit de débauche à me vautrer dans les cigarettes en chocolat et le Perrier grenadine.
Motivée par de vicieux réseaux sociaux, je me suis rendue dans un magasin de nutrition sportive pour acheter quelques canettes de Nocco. Arrivée au royaume de la poudre, j’ai découvert des rayonnages de whey Licorne et de farines aromatisées cheesecake. Bref, une tripotée d’enfants illégitimes d’une poupée Charlotte aux fraises et de Walter White. Mais qui suis-je pour juger, moi l’accro aux myrtilles et aux imprimés animaliers? S’il y a des gens qui trouvent que c’est bon pour eux, tant mieux. Personnellement, j’ai rapidement compris que les Ferrero Rochers étaient une grosse arnaque commerciale – ils ne contiennent aucun morceau de rocher, pas même un petit bout de galet – et que le meilleur moyen de savoir ce que tu ingurgites, c’est de connaître son origine (c’est-à-dire dans quel coin du jardin ça pousse). OK, j’arrête de faire mon Jean-Pierre Coffe. Il faut de tout pour faire un monde.
Quoi qu’il en soit, la personne du magasin, apprenant que nous venons acheter du Nocco, nous demande si nous pratiquons le CrossFit®. Après de trop longues minutes à nous vanter les mérites de produits dont les noms ont été inventés par un chat allongé sur un clavier AZERTY, il nous lance « De toute façon, le CrossFit®, c’est une secte ».

Comme c’était un peu tôt pour que je m’énerve, et que j’étais encore spirituellement sous ma couette, je suis restée comme deux ronds de flan. Seul un long soupir a ostensiblement fait vibrer mon masque chirurgical, telle une culotte Decath’ un jour de max deadlift.

« Et c’est reparti », voilà ce que j’ai pensé. Parce que clairement, ce refrain-là, je l’ai entendu bien plus de fois que « Dieu m’a donné la foi » lors d’une boum en 1995. D’ailleurs, j’y ai même eu le droit avant de commencer le CrossFit®. Bref, paye ta mise en garde en mode Banque du sang des Carpathes : « Entrez ici de votre plein gré et laissez-y un peu de la joie que vous y apportez » aka « Je vais te rendre à moitié dingo et t’abandonner aux griffes de trois succubes pendant que je vais tenter de pécho ta fiancée ». Moralité, ça fait bientôt 6 ans que cette rengaine revient. Bref, c’est parti pour être au CrossFit® ce que « Born to Be Alive » est aux mariages.

Définition(s)

Le CrossFit®, une secte? Vraiment? Pour moi, une secte, c’est éventuellement une bande d’allumés qui attend l’arrivée des extraterrestres ; vénère Desigual ; tente de te faire croire que si tu files ton RIB à un mec coiffé d’un mulet, il sera capable d’abattre ta belle-mère par la pensée et qu’il lira ton avenir dans la forme de tes trous de nez, et fout en l’air ton libre arbitre.
Si on veut se la jouer « Minute La Grande Librairie », selon le Larousse, c’est un « ensemble de personnes professant une même doctrine (philosophique, religieuse, etc.) ». Faire des thrusters, ça compte comme une doctrine?

Pour la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), il n’y a pas de définition de ce qu’est une secte, selon la loi. Par contre, une dérive sectaire induit « un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte à l’ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société ».
OK, voilà pour la partie « Judge Judy ». Clairement, quand tu vois certains utiliser de la magnésie pour faire des burpees, tu peux t’interroger sur leur état psychologique. Plus sérieusement (oui, ça m’arrive d’être un peu sérieuse) en réalité, le CrossFit® est considéré comme une secte par certains car c’est une pratique qui a ses propres codes.

Tyler Durden

Une histoire de vocabulaire

Qui n’a pas été, tel un retraité face à un film d’art et essai suédois en VO, passablement confus à la lecture des WODs et de leur vocable « barbare ». Recule Satan avec tes pull-ups, push-ups et autres deadlifts. Incompréhensible? Déconcertant? Plus mortifiant que les blagues de cul de Tonton Roger lors d’une communion? Eh dis donc, Martine, si tu n’étais pas totalement stone pendant tes cours d’anglais de Première, tu aurais peut-être percuté que ce vocabulaire si spécifique, ce n’est jamais que le nom des mouvements en anglais. Bah alors, on n’a pas renouvelé son abonnement à Vocable? Ca tombe bien, avec la rentrée, tu vas pouvoir profiter d’une promo et recevoir gratuitement un DVD de Love Actually.

Parce que tu crois que les setsrevers et autres ace (qui n’a rien de Ventura), ce n’est pas un brin déconcertant quand tu n’as pas passé une partie de ton enfance à crotter tes pompes dans la terre battue? Et quand tu confonds le penalty du foot avec le bar tabac qui pue la Gauloise sur la place centrale de Saint Maurice d’Etelan, on en parle? Parler sport, c’est toujours un peu du charabia – jusqu’à ce que tous les tiroirs dans ta matière grise se remplissent et s’organisent.

Accro au shopping

Ensuite, les fringues. Oui, il existe des chaussures dédiées à la pratique du CrossFit®. Breaking News, si tu n’es sorti de chez toi que pour aller acheter du guacamole industriel (je sais, l’avocat est un fruit pervers), sache que c’est exactement pareil pour les autres sports. Promis, les baskets de running, de trail, de tennis ou de volley, c’est un peu plus spécifique qu’une semelle, des lacets et un peu de tissu. Sinon, autant mettre en route sa sudation en portant des espadrilles….
A chaque sport ses spécificités. Pourquoi le CrossFit® serait-il différent? Et puis, les chaussures, c’est à peu près tout ce qui est vraiment utile pour woder. Bon, tu peux le faire avec des pompes de running, personne ne te jettera le seau de magnésie (d’autant que c’est un coup à se faire empailler par ton owner). Disons juste qu’avec des chaussures offrant trop d’amorti, tu risques de finir par te la jouer « Laisse les gondoles à Venise », terrassé par le roulis plutôt que par les burpees. Et là, tu n’auras plus qu’à utiliser de la magnésie pour absorber ton vomito au mojito mais ça risque d’être gênant pour tout le monde.

Concernant les autres constituants de ton dressing, bien sûr, tu peux céder à l’appel des booty shorts et autres leggings de compression. On comprendra même ta douleur et ton désarroi psychique, voire financier. Tu ne seras pas le premier à te joindre aux réunions hebdomadaires des Shopaholics Anonymes. Mais, l’ami, sache que ce n’est pas une fatalité. Rien ni personne ne t’oblige à être une pub vivante pour les matières respirantes. La façon avec laquelle tu t’habilles, tes copains de WODs s’en tamponnent. Normalement, ils sont trop occupés à tenter de retrouver un semblant de lucidité et se souvenir à quel tour ils sont vraiment dans leur AMRAP. Et si ils ont le temps de se la jouer Cristina Cordula, crie leur d’aller plus vite, bande de feignasses ! Parce que, comme disait la dame de Chagrin d’amour et sa coupe à 220 volts, chacun fait ce qui lui plaît. Porte ce qui te permet d’être à l’aise, et puis c’est tout.

Nourriture pas spirituelle

Les pratiquants de CrossFit® mangent tous pareil. Ca fait partie d’un des arguments du monsieur qui a un peu fermé mes chakras. Bouh, quelle méconnaissance sociologique crasse….Alors, comment te dire, Jean-Michel… Manifestement, tu n’as pas senti les relents de McDo ou de houblon lors de certains WODs matinaux. Tandis que la plupart des non-pratiquants sont persuadés que les athlètes de CrossFit® se nourrissent à 87% de blancs de poulet, la réalité est franchement plus nuancée. Du serial-killer de buckets KFC à l’amateur de soirées houblon et cacahuètes en passant par les amis des amis des lentilles corail, les accros aux macros, les régimes alimentaires des pratiquants sont plus diversifiés que la collection Marabout Cuisine. Certes, le credo (merde, un mot à consonance religieuse, chiotte je viens de foutre en l’air ma démonstration) est de manger sainement. Pourquoi? Clairement, pas pour le plaisir de vivre les fenêtres ouvertes en février parce que tu as fait cuire du chou-fleur à la vapeur. Mais plutôt parce que le but du CrossFit® est d’être en bonne santé.

Donc cette santé, elle passe aussi par l’assiette. Si tu t’exploses comme une mouche sur un pare-brise 5 jours par semaine mais que tu manges comme une vieille Texane qui en est à son deuxième pontage coronarien, c’est que, clairement, il y a une couille dans les frites. Ajoutons que l’alimentation, c’est notre carburant. Au quotidien et pour bouger. Tente un Fran après avoir mangé une tartiflette, et on en reparle. Mais lave toi les dents avant. Merci.

La communauté

Evidemment, le CrossFit® est communautaire. C’est ce qui fait sa force, non? C’est l’idée que les copains seront là qui te motive les jours où tu as juste envie de rester sous la couette et te vautrer dans les Quadro de Cémoi, c’est la perspective de savoir que tu seras bien accueilli qui te donne envie d’aller découvrir d’autres box lors de drops-in, c’est cette solidarité et cette empathie qui fait que le dernier à finir le WOD sera encouragé – voire plus applaudi que le vainqueur lors des compétitions. Le principe? On en chie ensemble, donc on se serre les coudes. Si on est tous dans le même bateau, ça ne signifie pas que notre libre-arbitre a sombré dans les abysses. D’ailleurs, ceux qui peuvent en douter devraient voir – et entendre – les réactions lors des WODs run ou Assault Bike. Oui, on souffle, on lève les yeux au ciel, on proteste, on conteste, on négocie. Certes, le coach a souvent gain de cause. Mais jamais il ne met notre intégrité physique ou morale en danger, mieux il s’adapte aux blessures et aux limitations de chacun. Le but est, une fois encore, d’être en bonne santé. Pas de suivre ce qui est écrit au tableau aveuglément. Non, ton coach n’a pas un partenariat secret avec la ligue des osthéo Francs-Maçons.

Mieux, le but du CrossFit® n’est pas de se contenter du CrossFit®. En pétant la forme, c’est l’occasion de sortir, voyager, découvrir d’autres sports et satisfaire sa curiosité sans être bridé par des contraintes de santé ou physiques.
Quant à la communauté, oui, on rebat les oreilles de nos proches pour qu’ils viennent woder avec nous. Ca peut être vu comme une forme de prosélytisme. Mais, finalement, plutôt que de « recruter » pour une « secte », cela vient simplement de l’envie de faire profiter notre entourage des bienfaits de ce sport. Ou encore de les motiver à bouger un peu plus. Parce que, quel que soit le moyen ou le sport choisi, finalement, l’essentiel n’est-il pas de partager l’envie de vivre en bonne santé?